Saladin – Prendre Jésuralem sur un jet de dés

Saladin de Denis Sauvage (auteur de la série Napoléon publiée chez Shakos) est un jeu d’histoire pour deux joueurs, dans lequel les Croisés font face aux Ayyoubides. Le jeu est livré avec deux scénarios. Le premier est celui de la Bataille de Hattin de 1187, Saladin, commandant des Ayyoubides, reprit la ville de Jérusalem aux Croisés. Ce faisant, Saladin offrit le casus belli de la Troisième croisade.

Le second scénario en reprend l’un des conflits – la Bataille d’Arsouf de 1191 – pendant laquelle Richard Cœur de Lion parvint à reprendre Jérusalem aux Ayyoubides. Dans les deux scénarios, l’objectif de chaque joueur sera de parvenir à faire retirer du jeu à son adversaire la totalité de ses ordres – c’est-à-dire les jetons ronds – pour remporter la partie.

J’ai approché Saladin avec curiosité, après avoir eu l’occasion de jouer à Napoléon 1807 du même auteur. Parmi les raisons qui m’ont poussé à le découvrir, il y avait, certes, le soin apporté aux graphismes, mais aussi l’accessibilité de la série En Ordre de Bataille dont Saladin est le premier volume. Enfin, je vous avouerai que, même si je ne m’intéresse pas spécifiquement au Moyen-Âge comme période historique, je n’avais plus qu’un lointain souvenir des croisades. Saladin aura été l’occasion pour faire revenir à la surface quelques souvenirs enfouis depuis longtemps.

Alors, cette promesse d’accessibilité est-elle tenue sans nuire à l’intérêt stratégique du jeu ? C’est ce que nous allons voir.

Le matériel de jeu. Le plateau étant double-face, le côté représenté sur cet image est celui de la bataille d’Arsouf.

 

Éloge de l’immobilité ?

Le matériel de Saladin peut surprendre car les nombreuses barrettes qu’on découvre à l’ouverture de la boîte représentent chacune une lance de la bannière d’un seigneur. À notre tour, nous allons donc activer une armée en dépensant des ordres, c’est-à-dire des jetons. En fonction de la commande que nous choisissons, nous lancerons un nombre plus ou moins conséquent de dés. Ces dés permettent d’infliger des pertes à l’adversaire ou de lui faire défausser un ordre.

Excepté pour les lances des Croisés – et celles de Saladin dans la bataille de Hattin – qui peuvent être engagées ou non, les lances ne se déplacent pas sur le plateau et peuvent uniquement être retirées pour absorber des dégâts. Mais retirer une lance n’est pas anodin car, lorsque nous en accumulons six lances perdues, celles-ci sont retirées du jeu et, avec elles, l’un de ces précieux ordres qui nous permettent de commander nos troupes.

Ici, la bannière de Naplouse se trouve en mauvaise posture car il ne lui reste plus que deux lances. Si elle était éliminée, le joueur croisé devrait retirer deux ordres au lieu d’un, à chaque phase de Chaos.

 

Si une bannière se retrouvait sans lances, nous devrions céder sa carte à notre adversaire et retirer du jeu un ordre supplémentaire à partir de la manche suivante. Le nerf de la guerre, ce sont donc bien les ordres : ce sont eux qui permettent d’activer nos bannières – représentées par des cartes. Dans la mesure où chaque bannière doit être activée à la fin de chaque manche, si nous l’activons sans dépenser d’ordre, entre deux et trois dés de notre adversaire s’abattront sur nous, avec les pertes que cela peut impliquer !

 

La stratégie des ordres

Contrairement aux apparences, les ordres permettent donc bien d’élaborer une stratégie d’attaque, même si nous devons nous adapter aux résultats des dés. Même si elles coûtent deux ordres, les Charges des Croisés peuvent s’avérer redoutables pour les Ayyoubides. La plupart du temps, les Croisés lancent trois dés, alors que les Ayyoubides n’en lancent qu’un seul. Si le joueur ayyoubide est particulièrement malchanceux, il pourra perdre jusqu’à six lances d’un seul coup.

De son côté, le joueur ayyoubide ne peut pas lancer d’attaques aussi massives et tente plutôt de mener une guerre d’usure : la plupart des commandants de cette faction ont tout d’abord la possibilité d’esquiver une charge contre un ordre, avant d’être activés. Cela a pour effet de remettre les deux factions sur un pied d’égalité en n’allouant qu’un dé. D’autre part, tant qu’une armée croisée n’est pas engagée, les commandants ayyoubides peuvent effectuer un Tir et lancer un dé.

Keukburi comme Saphadin peuvent esquiver une charge avant d’être activés. Saladin peut soutenir des armées ou effectuer un tir. Husam Lulu peut allumer les broussailles pour épuiser les Croisés par la chaleur du feu.

 

S’il est vrai que les probabilités de réussite sont moindres, il faut aussi reconnaître que les Croisés n’ont, dans ce cas, aucun moyen de riposter. Le joueur ayyoubide peut avoir intérêt à activer plusieurs fois le même commandant pour cibler la même armée, aussi longtemps que celle-ci n’est pas engagée. De même, pendant la bataille d’Arsouf, il ne faudra pas hésiter à activer Ala Afdal contre Henri II avant que celui-ci construise son mur de boucliers. Avec deux dés, on peut infliger pas mal de dégâts et ce serait dommage de s’en priver.

 

Ordonner avec parcimonie

À mesure que l’on se retrouve avec de moins en moins d’ordres, on ressent de plus en plus la nécessité de les dépenser avec parcimonie : ainsi, plus la partie avance, plus nos choix se font difficiles et demandent de la réflexion. Il en résulte une tension entre la dépense répétée d’ordres pour parvenir à éliminer les armées de notre adversaire et la nécessité de garder des ordres de côté pour pouvoir activer toutes les bannières, sans avoir à concéder deux ou trois dés à notre adversaire pour une activation gratuite.

Dans la mesure où les lances sont de moins en moins motivées à mesure que leurs camarades se font éliminer, le coût d’activation des bannières augmente et nous nous retrouvons parfois à devoir dépenser deux voire trois ordres pour en activer une seule. Parfois, il vaudra donc mieux faire la croix sur une bannière ( 😉 ) et se concentrer sur les armées qu’il est encore possible d’activer sans dépenser trop d’ordres.

Sans permettre à un joueur excessivement désavantagé de renverser la situation, cette mécanique de gestion des ordres donne tout de même le sentiment qu’avec un peu de chance aux dés, il est toujours possible de revenir dans la partie. Quand ce n’est plus possible, la partie ne traîne pas et les souffrances du perdant sont vite abrégées. C’est appréciable car, même s’il y a un aspect répétitif dans l’activation des armées, on n’a pas le sentiment que la partie s’éternise.

Malheureusement pour les Ayyoubides, les Croisés ont remporté la partie. En effet, alors que les Ayyoubides ont perdu tous leurs ordres, les Croisés en ont encore trois.

 

Faire contre mauvais dés bon cœur

Saladin est un jeu abordable, bien que la première lecture des règles puisse fausser cette impression. Les tours de jeu s’enchaînent avec fluidité et peu de questions surgissent au cours d’une partie. Le matériel de jeu est simple, sans être ni laid ni minimaliste. Au contraire, j’ai apprécié les illustrations de Nicolas Roblin et d’Ulric Stahl qui, tout en étant simples, sont agréables à l’œil et lisibles. Les quelques imperfections ergonomiques sont tout à fait négligeables – par exemple, dans ma version, la couleur sur les dés est blanche et ne permet pas de faire le lien avec le camp qui doit subir les pertes après le lancer.

Même s’il reviendra aux joueurs de réfléchir à la gestion de leurs ordres, il faut reconnaître que le hasard lié aux lancers de dés – qui sont nombreux durant une partie – peut parfois pénaliser l’un ou l’autre camp. Si vous avez du mal à tolérer une présence importante de hasard, Saladin n’est probablement fait pour vous. En revanche, si vous appréciez vous adapter au hasard, essayer d’en tirer le meilleur parti, même lorsque les dés semblent s’acharner contre vous, vous prendrez sans doute plaisir à y jouer.

Au début, il faudra sans doute dépasser les apparences d’immobilité des unités. Ce n’est pas parce que les lances se déplacent peu sur le plateau, que Saladin est dénué de réflexion stratégique. Simplement, celle-ci porte sur la gestion des ordres, le choix des types d’attaque et/ou de défense, les armées que nous ciblons ou encore les bannières que nous sacrifions, lorsque la partie avance.

Pour découvrir le jeu, je conseille de suivre les recommandations de l’éditeur en commençant par la bataille d’Arsouf. La bataille de Hattin ajoute quelques variations qui nécessitent de maîtriser les mécaniques de base : les Ayyoubides, avec Hasam Lulu, peuvent ainsi mettre le feu aux broussailles pour faire défausser un ordre aux Croisés et, lorsque ces derniers ont moins de cinq ordres, l’armée de Guy de Lusignan devra se déplacer aux Cornes où aura lieu l’affrontement final avec Saladin.

En bref, je recommande Saladin aussi bien aux néophytes du jeu d’histoire qu’aux plus expérimentés : sans offrir une profondeur stratégique inégalée, vous serez tout de même confronté à quelques dilemmes et vous aurez besoin de réfléchir à votre stratégie si vous voulez prendre – ou garder – Jérusalem.

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