Les Animaux de Baker Street – L’aventure à portée de patte

L’automne dernier sortaient Les Animaux de Baker Street. Titre prometteur s’il en est, les Animaux de Baker Street proposent un jeu d’enquête familial s’inscrivant, de très loin, dans le corpus holmésien. Cette fois-ci, plus de Sherlock, plus de Watson, plus de Francs-Tireurs (ou Irréguliers, selon la traduction) : ceux-ci ne sont qu’un décor lointain. Désormais, nous incarnons des animaux amis de Toby Holmes, le chien du célèbre détective. Et nous enquêtons dans la rue de Baker Street, sur des affaires d’animaux.

 

 

L’héritage Holmes

Aux manettes du projet, on trouve Clémentine Beauvais. Autrice de romans pour adolescents, traductrice, enseignante-chercheuse en littérature anglaise : son CV long comme le bras force l’admiration et les Animaux de Baker Street s’inscrivent dans la trajectoire de Clémentine Beauvais comme un heureux accident…

… mais il y a aussi Dave Neale. Neale a un pedigree de game designer de jeux d’enquête : on lui doit une boîte de Sherlock Holmes Détective Conseil (les Irréguliers de Baker Street), des scénarios d’Unlock mettant en scène… un certain détective anglais, des scénarios d’Echoes, enquête auditive, et le tout récent Revelio.

 

 

L’appareillage ludique

Difficile de séparer le ludique du narratif dans les Animaux. Au fond, l’enquête, la vraie, la dure, est simplifiée, réduite à quelques lieux restreints de la rue de Baker Street. Le tout délivré sous forme de cartes. Le quatuor enquêteur (on en reparlera) a un certain temps pour élucider le mystère / résoudre l’enquête, mais point d’échec : on vous remet simplement sur le droit chemin. Cela évite la frustration de prendre un mur dans la face en cas d’enquête trop difficile, mais permet de valoriser les joueurs n’ayant pas besoin d’aide. On note également la présence d’indices via Toby, qui donne une soluce guidée, pas à pas, aux joueurs bloqués. L’accessibilité semble donc être une préoccupation pour le duo d’auteurs et les éditeurs.

Pour vérifier une preuve, un système de détrompeurs en forme de loupes que l’on vient connecter en les apposant les cartes les unes aux autres. Si vous vous trompez, les conséquences vont de “rien du tout” à l’expulsion d’un lieu, en passant par la défausse d’un jeton de temps. Si vous réussissez, vous avancez dans l’enquête en récupérant une carte d’un paquet. 

 

 

Atom – Après lecture de l’intro, on ouvre le paquet correspondant au scénario qui nous indique tout ce que l’on doit faire, de combien de jetons temps on dispose et à quel moment on devra tourner la carte suivante. Le modus operandi est tellement simple que l’on pourrait accompagner les enfants pour leur première sortie dans l’univers de Baker Street et les laisser ensuite se débrouiller sans adulte. Le système des loupes est à la fois malin (il se comprend tout seul) et ludique, on conçoit très bien les conséquences de nos actes, face à un personnage apeuré, on n’essaie pas de lui tirer les vers du nez en lui faisant peur, sans quoi on risque de le braquer. Le système accompagne les joueurs, les éléments importants sont soulignés par exemple. Cette accessibilité semble délibérée de la part des auteurs : en cas d’échec, on ne refait pas une enquête. Pas de second run : on va simplement continuer, et le jeu nous donnera un peu plus d’indices pour que l’on trouve la solution. À mon avis, vu la cible, c’est une réflexion sensée.

 

 

Umberling – Jusque-là, rien de révolutionnaire, sachant qu’en début d’enquête, certains lieux vous sont ouverts et que seuls les enquêteurs peuvent vérifier des pistes. Mais vous pouvez récupérer des preuves possédant d’autres détrompeurs, et que vous pouvez comparer à d’autres éléments. Les détrompeurs sont d’ailleurs parfois fallacieux et pointent vers des cartes que vous avez déjà, ou des cartes que vous ne pourrez jamais obtenir : cette poudre aux yeux permet de masquer un chemin qui, sinon, serait trop évident. Les lieux eux-mêmes peuvent varier, être modulés au fur et à mesure que vous avancez dans l’enquête, sans jamais submerger les joueurs de choses à faire. Et comment savez-vous ce qu’il faut faire ? Eh bien, suivez le guide : suivez la narration.

 

 

Un cast irrégulier

Les enquêteurs sont quatre : Sorbier, un oiseau vif et discret, Acajou, une souris observatrice, Limon, une grenouille au verbe haut et Calebasse, une tarentule un peu (ok, très) énervée. Et ces personnages-joueurs, répartis autour de la table, ont chacun leurs forces. À vous de savoir qu’il faudra employer Calebasse pour tirer de la toile sur un objet ou pour combattre. À vous d’envoyer Sorbier dans les cieux… à vous de choisir judicieusement. Les irrégularités de ce cast de personnages permettent de valoriser divers comportements, diverses approches, et fonctionnent donc très bien car s’inscrivent dans la narration : le jeu répond à ce que vous faites. Si vous réalisez une action avec Calebasse, elle sera employée dans le texte indiquant le feedback de votre action. Mais attention, que l’on ne s’y méprenne pas : on est dans les rails de l’intrigue. Et dans ce cast, Sorbier et Acajou sont très plats, là où Calebasse prend plus de place : c’est elle qui a les moments drôles, les traits d’esprit les plus inspirés. Cette araignée antisociale rappelle une des règles fondamentales de la dramaturgie, à savoir que les personnages ne brillent que par leurs réactions à des situations données. 

 

Atom : Ces personnages ont été pensés pour les enfants, ce qui fait qu’en tant qu’adulte on peut les trouver un peu lisse, un peu simple, à l’exception de la Tarentule, mais je te rassure, les enfants adorent incarner les autres personnages, Sorbier qui volète de lieu en lieu, Acajou qui furète et se faufile dans les coins, ou encore Limon qui est le diplomate de la bande et limite un peu obséquieux. C’est bien simple, ils se sont attribués les deux premiers et nous ont donné Limon et Calebasse. 

Mais toute la galerie de personnages est truculente, du corbeau qui récite du Hugo dans le texte, Barouche la jument, les taupes, etc. Tous ces personnages ont une consistance et un caractère bien particulier, d’ailleurs un peu comme les personnages principaux, on leur a tous donné un timbre de voix, on a habité le personnage, comme Rossetti qui ne parle pas mais crie dans un langage limité sans verbe, comme pour signifier son empressement.

Umberling – Ou son caractère zinzin et manquant d’attention. Je te rejoins sur le fait que la galerie est splendide, mais je dois insister sur les deux protagonistes que sont Acajou et Sorbier. Si leurs actions sont bel et bien identifiées, leur caractère est lissé ; je conçois très bien le pourquoi, mais j’aurais aimé les voir autant briller que Limon ou Calebasse. Quoi qu’il en soit, Les Animaux de Baker Street est un plaisir à lire à haute voix : non seulement le texte est fluide, mais en sus, la narration donne une voix distincte à chaque personnage. Entre Rossetti l’écureuil tapageur et Morris le hérisson dormeur et grognon, tous les personnages ont leur caractère et celui-ci transparaît de façon évidente et juste, avec ce qu’il faut de trait fort pour que cela apparaisse instinctivement.

Atom – Il faut aussi louer le travail d’illustration de Biboun qui a donné vie à tous ces personnages, Toby le chien vieillissant, Chiffon le renard loqueteux, Jamais Plus le corbeau et bien d’autres encore. Chaque lieu est représenté sur plateau, mais aussi sur le recto de la carte comme s’il était examiné à la longue vue, avec des petits détails, on y aperçoit l’animal à interroger par exemple, un travail méticuleux qui nous permet de donner vie à ce décor mais qui facilite aussi tout le travail d’ergonomie et de repérage. Et certains détails… finissent par ne plus en être.

 

La patte dans le potage

On parle d’enquête. Qui dit enquêtes, dit crimes… mais pas forcément meurtres. On y viendra, doucement, les enquêtes devenant plus sérieuses au fur et à mesure de la boîte. Certaines thématiques ne sont abordées qu’en passant, les mobiles sont simplifiés sans être tout à fait creux : l’écriture est maîtrisée pour la jeunesse et ne prend pas le public pour acquis, ni pour immature. Cela permet également de diluer la noirceur petit à petit, de la diffuser sans que jamais elle n’éclate au visage, hideuse et abjecte. Les parents auront cependant sûrement des choses à expliquer à leurs enfants : la réalité historique du travail des enfants dans le Londres victorien, la pollution, la jalousie, l’amour ou encore le fait que l’autorité ne soit pas toujours bien fondée. Les thématiques vont donc varier et demander explication. Tout du moins je l’imagine, car j’ai joué en tant qu’adulte et sans enfant pour essayer (et je ne peux pas me fier à mon expérience de lecture d’enfant).

Atom – Les enfants se sont approprié l’histoire et se battaient pour savoir qui devait lire la carte, et ont adoré les petits traits d’humour qui caractérisent et typent les personnages. Il n’y a pas de thématique qui ait posé de problème, d’abord parce qu’elles ne sont là qu’en toile de fond de manière subtile pour certaines, et puis qu’ils vont à l’école (ils ont 10 ans et 13 ans) et que tout cela fait déjà partie de leur culture, sans compter leur curiosité naturelle. La plupart des questions que tu soulèves, on y a déjà répondu dans d’autres cadres. Ma seule vraie inquiétude restait la violence physique, le sang pour être cru au point où l’on en est (ça reste suffisamment subtil).

 

 

Umberling – L’aventure se corse tout de même au fur et à mesure des scénarios, et ceci est bienvenu : on sent une certaine attention au détail et à la sensibilité des joueurs. On va vers du plus complexe, mais aussi du plus sombre en avançant dans l’aventure, justement. On aborde les thématiques plus complexes lorsque le système est maîtrisé.

Atom – À l’heure ou l’on écrit ces lignes on n’a pas fini l’aventure de mon côté, on a dépassé la moitié. On essaie de prendre le temps. On est pris dans un dilemme que l’on rencontre dans les jeux à scénarios car on a envie de savoir ce qu’il va se passer, de découvrir la suite, mais aussi de le déguster, pas le “binge watcher” comme une vulgaire série. Un peu comme un livre que l’on dévore, on a envie que ça ne se termine jamais et six scénarios, c’est à la fois long et court. J’espère que l’on bénéficiera de nombreuses extensions pour profiter de cette qualité d’écriture. [NDLR : Iello l’envisage, sans pouvoir le confirmer à ce jour] 

Umberling – Six enquêtes, c’est assez, sachant qu’on ne les rejouera pas ? On pourrait se poser la question mais, pour ma part, j’ai passé suffisamment de temps pour justifier de ce prix – sur le Unlock-o-mètre, on y gagne. Et cela permet de développer une histoire tenue, tranquillement, sans se presser ni traîner : les personnages hauts en couleur que l’on rencontre ça et là s’ajoutent à notre répertoire mental. Au début, on se contentera de peu d’entre eux pour avoir de plus en plus de personnages en mémoire, permettant aux petits comme aux grands de se faire à l’abondance du cast (même si les grands ne seront jamais perdus). Je trouve dans les Animaux de Baker Street un jeu dans lequel la narration, imbriquée dans le jeu, est plus fine qu’il y paraît. Une narration à un niveau que j’aimerais bien voir dans certains jeux adultes, en fait.

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2 Commentaires

  1. frédéric ochsenbein 09/02/2023
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    Ca donne bien envie ^^. Je vais devoir attendre qu’il grandisse un peu le fiston 🙁

  2. Shanouillette 09/02/2023
    Répondre

    Excellent jeu et excellente écriture (coup de cœur particulier pour les personnages), à mettre entre toutes les jeunes mains amatrices de narratif

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