Tric Trac ferme ses portes

« Monsieur Guillaume », à la tête du site depuis le départ de l’un des fondateurs, a annoncé aujourd’hui sur son profil Facebook la fin du site de cette phrase laconique : « Tric Trac est mort ! Et c’est tout. » Le milieu ludique le savait déjà, puisque « Docteur Mops », l’un des co-fondateurs du site, a vendu la mèche la veille au soir. Cependant, un communiqué plus précis a fait surface sur le site.

 


Rétrospective

Tric Trac fut le site ludique incontournable des années 2000. Créé par Monsieur Phal et Docteur Mops, il s’est imposé comme plateforme de discussion entre joueurs, tout en proposant de nombreux contenus, notamment vidéo. Le site grossissant, il a eu besoin de devenir rentable pour payer les salaires (le nerf de la guerre).

En 2009, Plume Finance, fonds d’investissement au nom de Marc Nunès, PDG d’Asmodee, entre au capital de Flat Prod, la société de Monsieur Phal. Plume financeprend des parts à hauteur de 49%, le reste appartenant à Philippe Maurin (alias Monsieur Phal). En 2018, nouvelle aventure et nouveaux horizons : Plan B, l’éditeur de Azul qui rachète Tric Trac pour lancer une boutique en ligne. Quelques remaniements de ligne éditoriale sont remarqués (passage de Mathilde Edenfeld à la présentation et l’animation, mise de l’accent sur de la vidéo, sur des talk shows en salon).

Mais Sophie Gravel, PDG de Plan B, cède en 2019 des parts de Plan B au groupe Asmodee en même temps – ou presque – que le rachat de la boutique en ligne Philibert et celui du site de jeu en ligne Board Game Arena. Le temps est venu pour Philippe Maurin de tirer sa révérence et quitter le petit monde du jeu de société, Docteur Mops l’ayant déjà fait auparavant.

Alors, l’avenir de Tric Trac est étroitement lié à aux plans d’Asmodee. Après le départ de Monsieur Phal, Asmodee insuffle des forces dans l’équipe : nouveaux visages, nouvelles plumes, et nouveaux projets. La désormais célèbre « officine » de Tric Trac, servant de studios de tournage et de bureau, est délocalisée d’Orléans. Le COVID freine la progression de Tric Trac, mais en 2022 apparaît une nouvelle émission hebdomadaire, tournée dans des studios parisiens : le Tric Trac Show, un mélange d’actualité, de chroniques, et de discussions avec des invités. Un véritable talk show sur le jeu de société ! L’émission bénéficie de moyens conséquents et la sauce prend bien avec des audiences importantes pour notre média (on parle de 10 000 à 15 000 vues par épisode).

 

 

Seulement voilà, Asmodee ne se fait pas le devoir de maintenir le medium Tric Trac : peut-être les résultats ne sont-ils pas les résultats attendus, ou que cela lui coûte trop cher. Peut-être que le rachat par Embracer a forcé à la rationalisation des projets, quitte à couper ceux qui ne sont pas les plus viables. Le groupe Asmodee ne s’est à ce jour pas exprimé sur cette décision. Quoi qu’il en soit, Asmodee débranche la prise d’un coup sec : au premier janvier 2023, plus de Tric Trac, plus de Tric Trac Show. 

Nous avons une pensée pour l’humain, pour l’équipe derrière le site et les émissions, qui se démenait pour produire du contenu. Nous saluons ces confrères et consœurs et leur apportons notre soutien moral.

 

Perspectives

Cet arrêt pose la question de la survie d’un site ou d’un medium journalistique quand il doit être rentable. Cela fait écho aux difficultés de la presse spécialisée dans d’autres domaines (Gamekult vs Reworld, par exemple), mais également aux instabilités liées à internet lui même. Qu’adviendra-t-il des données agrégées depuis vingt ans, des contenus créés, des espaces de discussion ? Le maintien des serveurs d’un medium mort est une perte sèche pour Asmodee : il semble inconcevable que le site soit laissé sans surveillance, à la merci d’une faille de sécurité apparue au gré d’une mise à jour de framework quelconque.

Et, au-delà de cette angoisse du vidage d’archives, la disparition de Tric Trac pose aussi la question de l’indépendance et des modèles économiques des presses spécialisées. Gérer un blog pendant son temps libre et devenir professionnel et d’en faire son métier, et payer des salaires, voilà deux choses bien différentes, avec chacune sa part de compromis, de faiblesses, mais aussi de forces.

 

Edit 18/12 : une approximation s’est malheureusement glissée dans l’article concernant la prise de parts de 2009. Le fondateur de Tric Trac a donné sa vision des choses au travers d’une vidéo.

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3 Commentaires

  1. cottrant 16/12/2022
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    Merci pour cet hommage et au delà pour les réflexions soulevées !

  2. NicolaT 16/12/2022
    Répondre

    Tric Trac est le premier site de jeux de société que j’ai consulté.
    Que de souvenirs que ce Monsieur Phal survolté et de ce taquin Docteur Mobs, entourés de cette fameuse collection de jeux… C’était chouette.
    Mais petit à petit Tric Trac a perdu son âme de punk et son bordel ambiant, pour devenir quelques chose de plus conventionnelle, plus lisse… plus commerciale.
    Je me suis alors dit qu’il était temps d’aller voir ailleurs, et je suis parti vers d’autres cieux dont un petit site qui venait de naître… un certain Ludovox, je crois (vous connaissez ?).

    Hier par nostalgie j’ai revisionné la présentation Tric Trac du jeu Kemet suivi par son extension TaCeti (paru quelques années plus tard)… La différence entre les deux est très représentatif de ce qu’est devenu Tric Trac, il me semble.

    Les joueurs sont avant tout des passionnés et par moment potentiellement des acheteurs, mais avant tout des passionnés.

    Après LudiGaume, maintenant Tric Trac… Elle est sacrément pourrie cette année 2022.

  3. KiwiToast 24/01/2023
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    C’est une institution qui ferme ses portes. 🙁

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