[Entretien avec] Grégory Grard – l’auteur pour qui le jeu malin n’a pas de secret

Grégory

Grégory Grard est auteur des jeux Majority, Mot Malin, Tribunal 1920 et Kameloot qui ont presque tous eu une chronique sur le site, c’est dire qu’il faut peut-être y jeter plus qu’un œil. Il a accepté de se livrer au jeu de l’interview pour Undécent. Tentons de percer à cœur cet auteur pour qui la création de jeu est devenue une seconde nature.

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Peux-tu en quelques mots nous parler de toi et décrire ton parcours avant d’arriver dans le monde du jeu en tant qu’auteur ?

Bien le bonjour ! Grégory, informaticien de 37 ans, j’habite une maison de campagne en Normandie avec ma compagne et notre petite fille de 2 ans.

Depuis quand t’intéresses-tu au monde du jeu et y a –t-il un jeu en particulier qui t’a fait basculer dans le jeu de société dit « moderne » – ou tout du moins l’apprécier ?

Je suis tombé dans la marmite du jeu de société en 2012 avec des jeux comme 6 qui prend, Carcassonne ou Smallworld, mais c’est vraiment le jeu Agricola découvert peu après qui m’a le plus marqué lors de cette période de découverte : «Woooh ! On peut faire ça avec un jds » (NDLR : jds = jeu de société)

Parlons un peu création. Qu’est ce t’anime dans la création de jeux ? As-tu un processus de création particulier et un lieu de prédilection qui te met à l’aise dans la création ?

En fait, créer un jeu, j’y pense tous le temps et c’est tellement un kiff d’imaginer des choses. Je n’ai pas de lieu de prédilection pour créer, mais on va dire qu’un lieu au calme ça me va plutôt bien. Pas de processus de création bien défini non plus, l’idée peut partir d’une envie thématique, mécanique ou matérielle.

Quel est ton premier jeu édité ? Parle-nous un peu de sa genèse. Comment as-tu réussi à sauter le pas entre jouer et être acteur du monde du jeu ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ou cela s’est-il fait plutôt facilement ?

Mon premier jeu édité est Majority sorti en 2019 chez Bad Taste Games, un jeu d’association d’idées (ma marotte) et de stop ou encore.

Allez-vous associer Pompier à Porte ? (parce que les pompiers aiment bien casser les portes) Ou plutôt Pompier à Femme ? (n’y a-t-il pas des femmes pompiers?) Ou Pompier à Tabouret ? (parce que vous êtes fatigué).
Majority est un jeu d’association d’idées et…de majorité!
Seuls les joueurs ayant fait le choix majoritaire marqueront des points. Vos adversaires vont-ils penser comme vous (car il faut bien avouer que ce ne sont pas tous des lumières) ? Mais ne faudrait-il pas plutôt penser comme eux ? À moins qu’il soit plus judicieux de faire le choix de marquer des points?

Cela s’est fait assez facilement : J’ai rencontré Fred Bizet (le boss de BTG) au sein de notre collectif d’auteurs qui a tout de suite accroché au jeu et m’a proposé un contrat d’édition. C’est l’un des moments clés pour moi, à partir de là je me suis dit « C’est possible de se faire éditer ! »

Grégory (à droite) avec Fred Bizet (à gauche)

Qu’est-ce que ça représente pour toi qu’être auteur ?

Ce n’est pas mon métier donc je ne me considère pas comme un auteur de jeu. Mais créer un jeu je pense que c’est tenter de procurer des émotions diverses et variées.

Tu es membre du collectif d’auteurs rouennais, le BAR ; quelle place prend ce mouvement dans la création et le test de tes jeux ? À quel point prends-tu en compte les retours des premiers joueurs ?

Oui ! Le chouette « Bureau des Auteurs Rouennais », on se retrouve plusieurs fois par mois, on teste nos jeux, on partage nos avis et on boit des bières ! C’est ultra-motivant de partager tout ça avec eux.

Majority chez Bad Taste Games, Tribunal 1920 chez Superlude, Mot Malin et Kameloot chez Blue Orange ? 3 éditeurs différents. Comment se sont créées les opportunités d’édition ? Comment se passe le travail avec les éditeurs, les contraintes et libertés donnés par les uns ou les autres ?

Comme indiqué plus haut, pour Majority c’était assez simple : j’ai rencontré BTG via notre collectif. Pour Tribunal 1920 c’est Antoine Davrou qui m’a contacté en ayant vu le prototype sur Facebook. Et enfin pour Mot Malin et Kameloot ce sont des RDV auteurs classiques (Respectivement à PeL – Paris est Ludique – et au FLIP – Festival ludique international de Parthenay). Pour ces 3 éditeurs, j’ai eu assez de liberté en ce qui concerne le développement mécanique des jeux (via des échanges de mails), l’aspect graphique restant bien entendu la responsabilité de l’éditeur.

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un joueur désireux de faire éditer son premier jeu ?

Faire beaucoup de parties de son prototype avec différents joueurs avant de le présenter.

Tribunal 1920 chez Superlude est un jeu sorti fin 2020 en Print n’ Play. Parle-nous un peu de son développement, de son parcours du proto à la version finale. D’où vint cette thématique liée aux grandes affaires du barreau américain des années 1920 ? Et que penses-tu de cette manière de proposer un jeu à imprimer soi-même ?

Tribunal est né de l’envie de faire un jeu assez minimaliste autour de la mécanique du « Morpion », rapidement le côté Bluff est apparu. A ce stade le jeu fonctionnait mais était trop abstrait et froid à mon goût : j’ai donc rajouté 5 pouvoirs pour « casser » cette sensation et choisi un thème, le Tribunal (que Superlude a choisi de placer en 1920 lors du développement).

Le prototype avancé de Tribunal, avant d’être Tribunal 1920

Je trouve l’idée de base de proposer du PnP bonne, mais malheureusement cela touche peu de personnes, c’est un marché de niche !

Tribunal 1920 est un jeu à deux de stratégie, de placement et de bluff illustré par Weberson Santiago (L’Auberge Sanglante) au format Print n’ Play (à imprimer soi-même).

Un peu d’imagination, mettons-nous en situation. Les avocats forment un métier à part aux États-Unis, à la fois respecté, envié et jalousé ; au lendemain de la Grande Guerre, la fascination grandissante pour les faits divers et la criminalité vont projeter sur l’avant-scène médiatique les parcours flamboyants de certains avocats pénalistes. C’est le début des « Procès du siècle ». Et c’est là que vous entrez en scène !

Août 1920 : La chaleur est implacable, deux célèbres avocats new-yorkais se livrent un combat acharné lors d’un retentissant procès. Nourrissez la frénésie médiatique, le Daily News n’ayant surement pas manqué de couvrir l’événement. A la manière de Clarence Darrow lors du « Procès du Singe » en 1925 dans le Tennessee, soutenez votre plaidoirie avec de solides preuves et bluffez quand il le faut pour remporter la victoire, à Manhattan, dans le plus grand tribunal du monde !

Lors d’une partie de Tribunal 1920, les joueurs doivent placer 3 pions Plaidoirie à leur couleur sur une ligne de la Grille du tribunal à la manière d’un Tic-Tac-Toe pour remporter 1 Audience sur les 3 nécessaires pour gagner. Vos cartes en main conditionneront vos placements avec la possibilité de bluffer à vos risques et péril. Vous pourrez également placer vos pions sur des Districts de New-York qui vous donneront des capacités particulières.

Mot Malin chez Blue Orange, disponible depuis le début d’année 2021 a mis un peu de temps avant de sortir en France ; il est d’abord sorti à l’étranger sous le nom de Cross Clues. Peux-tu nous le présenter rapidement et un peu nous parler de son évolution jusqu’à cette version finale très fun et dynamique ? Le covid a-t-il eu une incidence sur sa programmation de sortie ?

Je crois que le Covid a eu peu d’impact sur la sortie de Mot Malin, pour le décalage de presque 1 an entre la version US et Française il me semble que c’est lié au boulot de traduction et d’adaptation des mots.

Mot Malin

Mot Malin est un jeu de déduction qui se joue à partir de 7 ans, pour 2 à 6 joueurs et des parties de 5/10 minutes environ. C’est un jeu coopératif basé sur une grille dont les entêtes de colonnes et de lignes possèdent un mot. L’objectif des joueurs sera de faire deviner en un temps limité l’intégralité des coordonnées de croisement entre lignes et colonnes. Une sorte de Codenames inversé ou de Touché Coulé de la langue mais en beaucoup plus vif.

Le prototype de Mot Malin

Et d’une manière générale le Covid a-t-il changé beaucoup de chose dans tes projets en tant qu’auteur de jeux ?

Pas tellement, juste un point : Pas de RDV auteurs IRL !

Dans l’actualité récente y a la sortie depuis peu de Kameloot chez Blue Orange, un beau petit jeu d’enfoir…. Non ?

Hôoo que oui ! D’enfoiré opportuniste, et on aime ça 😀

Bandits de grands chemins et autres magiciens sont attablés à la taverne du chat noir tandis que paladins et sorciers boivent un dernier verre – avant le suivant – à la taverne du Hibou ; ils n’attendent plus que vous rejoigniez d’autres marchands présents dans leur taverne pour que vous leur proposiez de leur vendre vos collections d’objets magiques, parce qu’à dans Kameloot, rien ne se fait comme ailleurs. Et qu’y a-t-il dans votre escarcelle ? Des gants à 6 doigts, des parchemins de permutation, des potions d‘enchantement, des capes magiques, des cornes de licornes et j’en passe et des meilleurs !

Objectif : réaliser des collections et se répartir dans la taverne le pactole dès qu’une collection est complétée. Mais aussi tirez le meilleur des objets magiques pour être dans la bonne taverne au bon moment. Oui mais quelle taverne choisir ? Celle du Hibou où celle du Chat noir ? Le dilemme sera constant.

Une taverne, des marchands motivés et des objets magiques, c’est donc tout ce dont vous avez besoin pour devenir le marchand plus riche de Kameloot. Et attention aux retournements de vestes, dans les tavernes il n’y a pas de pitié !

Sa genèse est tout de même assez particulière ! Puisque Kameloot est un jeu issu d’une game jam au Flip de Parthenay. Peux-tu nous raconter sa petite histoire ?

En 2019 on décide de participer à la Game Jam du FLIP (Création d’un jeu en 24h) avec 3 compères du BAR, Fred Boulle, Mathieu Roussel et Cédric NH. La contrainte mécanique de cette édition était « jeu par équipes », Cédric et Mathieu on rapidement proposé de twister ça en « équipes changeantes ». Quelques 24 heures plus tard nous avions un ptit jeu de cartes enthousiasmant, nous n’avons pas gagné le concours mais quelques jours plus tard nous avions un contrat d’édition en main !

Et le travail à 8 mains ensuite, c’est plus simple ou compliqué ?

Le mot d’ordre c’était « Démocratie », il y a eu des hauts et des bas mais dans l’ensemble ça a plutôt bien fonctionné.

Tribunal 1920 va connaître une seconde vie sous une autre forme. Peux-tu nous en parler ?

Je suis très content de cette nouvelle vie pour mon jeu Tribunal 1920, il a été plébiscité par quelques personnes et a finalement trouvé la voie de l’édition traditionnelle. Sortie aux environs de Cannes 2022 chez Ghost Dog.

Quelles sont les autres projets en cours ?

J’ai 2 jeux en tout début de développement chez 2 éditeurs avec qui je n’ai pas encore travaillé, mais c’est encore trop tôt pour en dire plus. Probablement des sorties 2023…

Y a-t-il un projet particulier qui te tiens à cœur et que tu aimerais concrétiser ?

Oui, un jeu de cartes à combo plutôt ramassé, c’est un peu mon « fil rouge » de créateur.

Avec quel auteur et quel illustrateur rêverais-tu de travailler ?

Roberto Fraga pour sa créativité ! Et niveau illustrations je dirai Thibault Prugne.

En tant que créateur de jeu, y a-t-il des jeux récents qui te font dire : Ouah … quelle belle claque ludique, si seulement ça avait été moi qui l’avais réalisé !

Oui, il y en a plein, pour en citer que 2 très différents : The Mind et It’s a Wonderful World.

En tant que joueur quels sont tes 3 coups de cœur ludiques que tu voudrais voir inscrit au Hall of Fame de tous les temps ? Et pourquoi ?

  • Agricola, mon premier coup de cœur ludique.
  • Race for the Galaxy, pour l’adaptation permanente.
  • Hansa Teutonica, pour l’interaction tellement unique !

Comme dirait ma femme, il n’y a pas que le jeu dans la vie. Justement, y a-t-il d’autres passions ?

Je n’ai pas de passion aussi prenante que la création de jeux de société, mais j’aime beaucoup jardiner 🙂

Pour terminer cette interview, je te propose de sortir le jeu “Questions de merde” de chez le Droit de perdre et de répondre à une série de questions (9 au total). Tu peux y répondre plus ou moins sérieusement et pour reprendre les mots des auteurs Franz Lejeune et James Fabian : 

« Que vos réponses volent haut ou pas ne changera pas votre destin … Alors lâchez-vous… Envolez-vous ! Au fond, qui n’a pas déjà eu envie de s’envoler loin, aussi loin que possible … »

Ma femme a sélectionné 9 questions … … prêts ? (En fait ce n’est pas une question)

Go !

Quelles sont les dates clés de ta biographie ?

1984, Naissance – 2012, Je découvre TricTrac 😛

Quel petit plat te console d’une journée de merde ?

Un barbecue !

Pourquoi Dieu a-t-il créé l’homme avant la femme ?

Peut-être parce-que c’était plus simple.

Pourquoi ton papa est-il plus fort que les autres ?

Il ressemble à MacGyver !

Quel refrain débile chantes-tu pour qu’il aille trotter dans la tête des autres ?

Les gros nichons (j’ai un peu honte)

Si tu devais tout plaquer, mais ne garder qu’un seul objet, lequel choisirais-tu ?

Peut-être ma tente quechua ?

Quel compliment te donnerait l’impression que la personne qui te le fait est hypocrite ?

Tu es très distingué !

Quelle taxe proposerais-tu de créer pour renflouer les caisses de l’Etat ?

Nous sommes l’un des pays qui collecte le plus de taxes, donc je préfère ne pas en rajouter !

Quelle invention prouve que les humains sont totalement idiots ?

La peinture blanche 😛

Chers lecteurs, si vous avez aimé les dernières questions de cette interview, vous pouvez les retrouver dans le jeu “Questions de Merde “ chez Le Droit de Perdre.

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