► E.D.I.T.O. Le monde du jeu fait des bulles spéculatives

L’information circule depuis quelques jours sur les réseaux : Le géant Asmodee (regroupant des éditeurs tels que Days of Wonder, FFG, Z-Man, Plan B mais aussi des entités telles que Tric Trac, Board Game Arena, Philibert…), sous la houlette du groupe PAI Partners depuis 2018, serait en passe d’être revendu une nouvelle fois.
L’information avait été d’abord publiée via le site de
l’Agefi, relayée ensuite par Unquote. Hier, Stephen M. Buonocore, l’un des fondateurs de Stronghold Games, a annoncé l’info publiquement sur les réseaux sociaux :

Souvenez-vous, Asmodee a d’abord été racheté par Eurazeo en 2014 pour 143 millions d’euros, revendu ensuite au fond d’investissement PAI Partners en 2018 pour 1,2 milliard (news). D’après l’Agefi, deux sociétés ont été mandatées pour gérer ce nouveau changement de main, à savoir Goldman Sachs et Natixis Partners. Cette fois, il se dit que Pai Partners demanderait environ 2 milliards d’euros pour le géant du jeu de société. Un bilan enviable et sans surprise pour un acteur qui n’a eu de cesse de progresser malgré les difficultés inhérentes à la pandémie.
Qui récupérera le géant du jeu ? L’avenir nous le dira. D’après
l’Agefi, les fonds d’investissements CVC Capital Partners (basé au Luxembourg) et Advent International (basé à Boston) seraient entrés en lice pour l’acquisition. Il est fort probable que, quel soit l’acquéreur, la politique reste identique à celle menée précédemment par Eurazeo et PAI, à savoir poursuivre le développement de l’entité pour revendre avec une plus-value plus tard. En tout cas, pour le moment. 

Le combo Hachette-Editis  

Mais ce n’est pas tout. Vous le savez, en face d’Asmodee, l’éditeur Hachette, devenu le nouvel ogre du secteur rachetant des maisons d’édition en pagaille (Blackrock, Gigamic, Le scorpion Masqué, Hiboutaillus, Randolph, etc), va être lui-même avalé par la holding Editis (Plon, Robert Laffont, Le Cherche midi, Bordas ou Nathan) de la société mère Vivendi.
L’annonce d’une OPA de Vivendi sur Lagardère a déchaîné un vent de folie : le démantèlement du groupe d’Arnaud, déjà dénoncé par Arnaud Nourry, la fin de l’identité Hachette, la concentration… Et les analyses dans la presse se suivent, toujours avec des perspectives alarmistes. Mais si, hypothèse de travail, Vincent Bolloré n’avait pas en tête de faire engloutir Hachette par Editis ? Mais au contraire, de produire une entité tierce ?” peut-on lire sur Actualitte.


En effet, l’état français ou l’Union Européenne pourrait avoir à intervenir pour casser la constitution d’une situation de quasi-monopole (sur le livre, en tout cas). Auquel cas, qu’adviendrait-il d’Hachette Boardgames, en marge de l’activité principale du groupe ? Il faudra que le rachat ait lieu, en décembre 2022, pour y voir plus clair sur les conséquences de cette nouvelle. En attendant, on peut imaginer que Hachette souhaitera calmer le jeu côté acquisitions, en dehors de ce qui est déjà en cours de discussion évidemment.

Questions, spéculations, prédictions 

Difficile de prédire comment ces changements de main vont aboutir, plus encore de quantifier de la potentielle casse que cela implique pour les entités appartenant à ces deux géants. Beaucoup de questions se posent. Des studios vont-ils fermer boutique ou fusionner, à terme ? Les lignes éditoriales vont-elles évoluer vers une recherche de rendement toujours plus optimale, laissant les prises de risques créatives aux plateformes de financement participatives opérant comme une scène de R&D pour le secteur ? Cette valse des rachats durera-t-elle toujours ? Est-ce qu’un beau matin, d’aucuns en bourse pourront s’exclamer « j’ai gagné le capitalisme, je peux m’arrêter maintenant ! » ? Et puis, quand est-ce que d’autres entités entreront sur le ring ? On sait que le milieu ludique, resté fort malgré la crise Covid, attire de plus en plus les regards d’autres groupes tels que Média Participations qui étudie le secteur depuis quelque temps.   

 


Bien sûr, dans ces moments, on s’interroge forcément sur l’impact de l’évolution de notre industrie et de l’orientation de sa production, avec nos yeux de passionné·e·s.
Faire découvrir notre hobby à un public plus large, oui ! Mais sans en dévoyer les codes et ce qu’on considère comme en faisant la qualité.  Développer le secteur et le démocratiser permet certes plus de concurrence, mais ces rachats impliquent nécessairement, à terme, une rationalisation et une optimisation des coûts de fonctionnement. Loyers, comptabilité, moyens de fabrication, avec bien évidemment des économies d’échelle, les grands groupes visent le rendement et la minimisation des risques. Et qui dit fusion dit aussi audit de performance. Les branches les moins rentables se verront sans doute élaguées. Parce que c’est la société dans laquelle nous vivons.

Et si ces grands acteurs sont capables d’attaquer le marché d’un plus grand public avec des distributions plus massives pour un effort moindre ou équivalent, vont-ils considérer la rentabilité du marché de niche amateur / expert suffisamment attractif pour continuer à le développer ?
Si la norme devient des jeux à licence pauvres ludiquement (avec des approches peu originales, sans grande implication des joueurs, des équilibrages douteux…), des produits bankables ou des reboots peu risqués mais qui fonctionnent commercialement (cf le triste line up de FFG à la Gencon cette année, zéro création originale), notre « niche » d’amateurs et passionnés ne finira-t-elle pas par se détourner ? Pourra-t-elle chercher une scène indépendante plus satisfaisante ailleurs ? Combien faut-il de sorties commerciales pour se permettre des écarts créatifs ? Peut-on toujours espérer un intérêt passionnel, et peut-être une envie de pousser un ou deux projets hors normes, dès lors que l’organigramme entier est suffisamment satisfait de la rentabilité des éditeurs inféodés ? Ou alors la responsabilité d’apporter des jeux et des univers particuliers incombera-t-elle aux auteurs, encore une fois ?


À ce sujet, les plateformes participatives restent un endroit où des propositions originales, “hors des clous”, peuvent encore naître et trouver leur public. Il est à noter que l’on assiste à une professionnalisation de ce secteur ; si cela se traduit par des projets incroyables qui peuvent prendre vie, cela cache aussi des dérives, telles que la pré-vente de contenus non testés dans une course à l’échalote peu qualitative. KS et consorts sont avant tout perçus par certains éditeurs comme des lieux permettant de réduire les intermédiaires de la chaîne de distribution et de sécuriser leur production avec de la prévente. Entre terreau créatif plutôt spontané et saine professionnalisation qui permet de faire vivre une équipe de passionnés, en passant par l’Eldorado pour des sociétés moins scrupuleuses de faire feu de tout bois, il n’est pas toujours facile de trier le grain de l’ivraie.

C’est qu’il faut bien trouver un moyen d’attirer l’attention dans un milieu toujours plus concurrentiel. Comment sortir du lot surtout en cette période complexe (raréfaction des matières et des moyens de transport) quand on est un petit créateur et que l’on se trouve au milieu d’un tel combat de géants ? Difficile de tirer son épingle du jeu quand la concurrence a un temps d’avance dans les usines de production ou sur les chargements. L’hyperconcentration des acteurs en quelques pôles concurrentiels semble inexorable à terme. Sortons notre boule de cristal, ou attendons de voir jusqu’où chacun va pousser ses pions…  

 

À lire aussi ► une inéluctable hausse des prix 

 

Cover & Bannière : illustration carte « OPA hostile » Netrunner

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4 Commentaires

  1. Teuf 25/09/2021
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    Merci pour cet article étayée.

    Ludovox toujours au top 🙂

  2. frédéric ochsenbein 27/09/2021
    Répondre

    J’ai créé mon premier jeu de société et trouver un éditeur qui accepte de jeter un regard sur le jeu d’un inconnu devient déjà difficile. Les éditeurs se basent sur des licences qui marchent ou des auteurs bankables. Ca rappelle malheureusement l’industrie du cinéma où des gros groupes ont créé des holdings pour sortir des remakes et autres films insipides (qui d’un point de vue marketing répondait aux « attentes du public », comme quoi le marketing a encore du chemin à faire ^^). J’ai toutefois bon espoir car la plupart des joueurs vont acheter via les avis des super sites comme ludovox 🙂 ou en se faisant conseiller par sa boutique, et dans un marché devenu aussi concurrentiel que celui du jeu un jeu « moyen » aura bien du mal à se faire une place.

  3. TheGoodTheBadAndTheMeeple 27/09/2021
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    est-ce vraiment une bulle speculative ? je ne pense pas. C’est de la speculation sur un domaine en forte croissance.

     

    parler de bulle c’est envisager que c’est un artificiel comme augmentation. ca ne l’est pas a mes yeux.

  4. Jahz 27/09/2021
    Répondre

    J’adore l’illustration OPA Hostile de ANR 🙂
    Elle colle très bien et tellement de bons souvenirs !

    Excellent article par ailleurs !

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