Tapestry
Tapestry est le tout dernier jeu de l'excellent Jamey Stegmaier (Viticulture, Scythe), et il est peu dire que le jeu a fait du bruit depuis sa sortie fin 2019.
Je vais écarter tout de suite de la discussion ce déjà célèbre déséquilibre entre les civilisations. Oui il est avéré, et l'éditeur s'est même empressé de mettre à disposition un correctif sur son site. Malgré cela, ce souci colle à la peau du jeu depuis sa disponibilité, et beaucoup de joueurs mécontents ne cessent de dénigrer le jeu pour raison qu'il serait inconcevable qu'un jeu sorte sans être parfaitement testé.
Je trouve cette réaction un peu de mauvaise foi. Combien de jeux ont des vrais défauts d'équilibre avec lesquels on s'accomode avec le temps ? Un paquet. Et c'est surtout injuste. Pourquoi il est toléré qu'un jeu vidéo ou une application voit des correctifs sortir régulièrement (même jour 1), et pas un jeu de société, qui souvent ne bénéficie pas des mêmes ressources ? C'est complètement idiot, et une sur-réaction complètement excessive et puerile, surtout que ce n'est pas du genre de la maison de se foutre de la bouche de ses fans.
Age of (Fast) Empires
Par chance, Tapestry a aussi marqué les esprits par l'annonce initiale de son auteur : Un jeu de civilisation accessible et jouable en moins de deux heures. Une promesse folle qui, après une première partie, s'avère bien cocher la majorité des cases du contrat.
Jamais un jeu du genre n'a été aussi simple à prendre en main. Les règles se comptent sur les orteils des pieds (quatre pages seulement), la mise en place est ultra rapide (on prend un plateau personnel et une civilisation, et roulez jeunesse!), et il faut moins de trente minutes pour initier une tablée.
Lors de son tour, les choix sont vraiment restreints, et un joueur a juste une alternative : Se développer, ou procéder à une phase de revenus.
La première action consiste tout simplement à progresser d'un cran sur l'une des quatre pistes d'avancement disponibles (moyennant un coût évolutif). Ce qui lui permet de gagner les actions ou les bonus indiqués sur la case de destination.
Toutes les pistes ont des options identiques, mais chacune dispose d'actions spécifiques liées à un axe de gestion en particulier : La piste explorer sert par exemple à se déployer sur la carte principale, et récupérer des ressources par l'expansion. Alors que la piste technologie sert à récupérer des cartes inventions qui offre elles des bonus lors du déclenchement de certaines actions.
La phase de revenus joue, elle, un triple rôle. Se remettre à flot côté ressources (de plus en plus conséquents à mesure que vous construisez de bâtiments). Remporter divers bonus de PV en fonction de vos choix de développements actuels. Mais surtout changer d'ère, en jouant une carte fresque qui va vous offrir un bonus immédiat ou pour toute la période à venir.
Malgré sa simplicité apparente, Tapestry s'annonce comme un pur jeu de civilisation. Un choix de dynastie avec ses avantages propres à faire prospérer (17 dans la boîte de base). Une gestion de périodes temporelles (une partie se termine quand chaque joueur a atteint sa cinquième ère). Du développement à tout va (bâtiments, technologies). De la gestion de ressources. De l'exploration et du déploiement sur une carte monde.
Sur le papier donc, tous les ingrédients sont réunis. Mais dans les faits pourtant, on en ressort un peu déçu.
Race of Tapestry
En toute honnêteté, Tapestry n'est pas déplaisant à jouer. Et je salue chaleureusement l'initiative de Stonemaier Games d'avoir pris des risques, et d'essayer de proposer une autre vision d'un genre habituellement très cloisonné.
Mais deux choses m'ont profondément dérangées dans Tapestry, et qui font que je ne remettrai jamais les doigts dessus.
Déjà, la sur-édition gâche le jeu. En temps normal, je suis pourtant du genre à apprécier les figurines, surtout quand elles servent l'immersion et les mécaniques de jeu. Mais là c'est tout le contraire. Tapestry inclut une quinzaine de bâtiments spécifiques qui, en plus d'être moches, mal taillés et ne rendent pas du tout bien ensemble, sont utilisés pour le développement des capitales qui n'influence quasi en rien le score final de chacun. C'est ballot, surtout que ce petit "plaisir" grève le coût de la boîte et la fait frôler les trois chiffres, pour un jeu qui en dehors de ses illustrations de cartes n'est finalement pas spécialement beau.
Et mon plus gros souci avec Tapestry, c'est que si tous les ingrédients d'un jeu de civilisation y sont, il lui manque une composante essentielle : l'âme.
Première raison, le manque d'interaction directe pour le genre. Le jeu n'offre quasiment aucun moyen d'agresser un adversaire. Et quand on peut, l'ensemble semble mal étudié. Car à moins de quatre joueurs, les règles et la carte monde sont ainsi faites qu'il est quasi peu probable de voir des joueurs "s'affronter" (une composante d'ailleurs "adoucie" par choix assumée de l'auteur). Et sur les pistes, c'est la logique qui prédomine : Vaut mieux se lancer sur une piste délaissée que de prendre le risque d'essayer d'aller plus vite qu'un adversaire sur une piste plus glamour.
Moi qui suis de ceux qui pensent qu'un joueur doit pouvoir gagner en se développant dans son coin, mais que l'on doit aussi laisser la possibilité d'aller taquiner ses voisins pour démontrer sa puissance d'une manière moins pacifiste.. et bien cela m'embête fichtrement.
Et il y a encore pire (désolé). C'est que même si le jeu est basé sur un système d'âges, on en ressent pas du tout l'effet de l'évolution. Comme les cartes fresques n'apportent pas de réels changements, que les technologies ne sont pas liées à des périodes, et que Tapestry offre en général une trop grande liberté niveau développement, on peut traverser la moitié de la carte avant d'avoir construit sa première maison. On peut voyager dans l'espace avant d'avoir découvert la roue. Cela nuit à l'immersion, et on se demande au final si le jeu ne ressemble pas plus à un jeu de courses qu'à un jeu de civilisation.